Où en est la citoyenneté aujourd’hui et comment se profile celle de demain? Nous vous proposons ci-dessous un tour d’horizon des discussions sur ce sujet dans la Berne fédérale.

Un certain nombre d’interventions parlementaires liées à la citoyenneté sont en effet à l’ordre du jour au parlement fédéral.

Quelles questions intéressent les parlementaires? Quelles solutions préconise le Conseil fédéral (le gouvernement)?

MAJORITÉ CIVIQUE À 16 ANS

Partant du constat que le taux d’abstention des jeunes en Suisse est important, un postulat préconise l’abaissement de l’âge pour voter à 16 ans accompagné d’un renforcement de l’éducation civique. Ceci renforcerait la démocratie directe.

L’Autriche l’a fait

L’expérience de l’Autriche qui a abaissé la majorité civique à 16 ans est citée en exemple. Elle a démontré que:

  • la participation des jeunes de 16 ans est élevée (nettement supérieure au taux des 18-20 ans) ;
  • l’effet de mobilisation lors de la première possibilité de vote est plus important qu’à 18 ou 20 ans (l’intégration scolaire étant plus forte et permettant mieux d’encourager l’exercice des droits civiques qu’à 18 ans) ;
  • une première participation à 16 ans encourage à une participation plus importante sur le long terme.

Une telle mesure doit aller de pair avec un renforcement, en collaboration avec les cantons, de l’éducation à la citoyenneté à l’école et une forte sensibilisation auprès de la jeunesse.

Les jeunes ont d’ailleurs déjà, dès 16 ans, de nouveaux droits et devoirs selon le postulat. Ils ont terminé leur scolarité obligatoire, doivent choisir leur orientation professionnelle et deviennent également autonomes fiscalement. Cet âge correspond à la majorité religieuse et à la majorité sexuelle. Il s’agit donc d’un âge où chaque jeune reçoit de nouvelles responsabilités importantes.

Le Conseil fédéral veut étudier la question

Le Gouvernement fédéral reconnait que la participation politique, sous toutes ses formes, de l’ensemble des groupes composant la société constitue un pilier essentiel du bon fonctionnement de notre démocratie.

Il se déclare prêt à élaborer, en collaboration avec les cantons, un rapport qui examine, en se basant sur de précédentes expériences dans ce domaine, si les mesures invoquées sont les instruments adéquats pour stimuler la participation politique. Si le parlement l’approuve, un tel rapport sera préparé sous l’égide de la Chancellerie fédérale.

PLUS D’ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ…

Bien que la politique fédérale soit celle qui est la plus médiatisée, il n’existe pas de bases légales fédérales permettant d’encourager l’éducation à la citoyenneté. Par conséquence, il n’existe en Suisse que très peu de programmes fédéraux visant à encourager l’éducation à la citoyenneté, surtout en comparaison avec les mesures existant dans les pays voisins.

… 80% des électeurs le demandent

Une étude réalisée en 2014 par l’Institut gfs.bern sur des propositions de réforme du système politique suisse[1] montre que près de 80% des personnes ayant le droit de vote souhaitent un renforcement de l’éducation à la citoyenneté.

Un postulat demande ainsi à ce que l’éducation à la citoyenneté soit renforcée sans remettre en cause la souveraineté des cantons en matière de formation. L’expérience allemande d’un centre fédéral d’éducation à la citoyenneté est citée en exemple.

Le postulat interroge les bases légales nécessaires pour que la Confédération puisse, en collaboration avec les cantons, soutenir financièrement des projets d’éducation à la citoyenneté dans le domaine scolaire.

RÉGLER LA FORMATION À LA CITOYENNETÉ AU NIVEAU FÉDÉRAL?

Une autre interpellation considère que les heures réellement consacrées à l’éducation à la citoyenneté se sont vues réduites par l’ordonnance sur la formation professionnelle initiale d’employé-e de commerce CFC (ORFO 2012).

L’auteur propose l’adoption d’une ordonnance spécifique à l’éducation citoyenne pour donner à ce domaine de formation une place à part entière.

Selon l’interpellant, la manière et la fréquence avec laquelle l’éducation civique est abordée paraît actuellement très disparate selon les écoles et les enseignants, car « noyée » dans des domaines généraux.

Une autre proposition est de déclarer la citoyenneté une prestation d’intérêt publique permettant ainsi au Conseil fédéral de participer aux coûts, en versant des subventions en faveur d’une telle prestation d’intérêt public. Ceci est envisagé notamment pour les prestations inscrites dans la loi et l’ordonnance fédérale sur la formation professionnelle. Selon une étude gfs[2] mandatée par EasyVote et menée en 2014 les élèves des écoles professionnelles auraient tout particulièrement besoin d’un encouragement dans ce domaine.

Un rapport d’experts très attendu

Le Conseil fédéral reconnait que dans une démocratie, il est indispensable que les citoyens soient bien informés et qu’ils s’investissent en faveur de la collectivité.

Cela vaut d’autant plus dans une démocratie directe, où les personnes ayant le droit de vote doivent se prononcer sur d’innombrables objets. Il est donc capital pour la Suisse que les citoyens disposent de bonnes connaissances en politique.

Avant d’entreprendre des démarches pour renforcer l’éducation à la citoyenneté, le Conseil fédéral est d’avis qu’il faut attendre la fin des travaux en cours et en analyser les conclusions.

La publication d’une étude qui examine comment les contenus de formation de l’éducation à la citoyenneté figurant dans les plans d’études cadres peuvent être mis en œuvre dans les plans d’études des cantons et dans ceux des écoles de degré secondaire, est particulièrement attendue. Annoncé initialement pour l’été 2015, l’étude – un rapport d’experts – sera adoptée par le Conseil fédéral en été 2016.[3]

Le rapport mettra en lumière l’importance réelle accordée à l’éducation à la citoyenneté dans l’enseignement général pour les jeunes gens du degré secondaire II et énoncera des recommandations sous la forme de mesures.

Quant au nombre d’heures de cours se rapportant à l’éducation à la citoyenneté et à la connaissance des institutions politiques, le Conseil fédéral affirme qu’il n’a pas été réduit avec l’entrée en vigueur de l’ORFO 2012. Mais, les contenus de formation propres à l’éducation à la citoyenneté ont été combinés à d’autres thèmes généraux de politique et de société et ont été intégrés dans les cours.

L’adoption d’une ordonnance spécifique sur l’éducation à la citoyenneté ne se justifie pas, de l’avis du Gouvernement. Elle serait en contradiction avec l’objectif selon lequel les contenus en rapport avec l’éducation à la citoyenneté et la connaissance des institutions politiques doivent être dispensés non pas de manière isolée et abstraite, mais en lien avec des thèmes d’actualité.

Mais le gouvernement n’exclut pas une adaptation des bases légales. Il propose d’attendre la fin des travaux en cours et d’analyser les conclusions du rapport d’experts. Ensuite il examinera si une adaptation des bases légales est nécessaire.

ET LES ÉTRANGERS DANS TOUT ÇA?

La discussion sur le rôle de la Confédération en matière de formation à la citoyenneté est étroitement liée à la répartition des compétences dans l’état fédéral qu’est la Suisse.

L’éducation, y compris à la citoyenneté, est du ressort des cantons. Mais en même temps, la démocratie directe telle qu’elle existe au niveau fédéral (votations, élections, initiatives et référendums) serait affaiblie ou vidée de sens si le peuple n’a pas (plus) les compétences requises pour exercer sa fonction d’organe de l’état. D’où l’importance de penser le renforcement des compétences citoyennes également au niveau fédéral.

Évaluer continuellement le système

Si les instruments de démocratie directe sont assez développés en Suisse, l’on voit bien qu’il ne s’agit, de loin pas, d’un système fini et parfait. Bien au contraire, son développement, sa pérennité sont continuellement discutés, remis en question. Le renforcement de la formation à la citoyenneté est un des sujets actuellement en discussion. Ceci témoigne de deux choses.

La réalisation des conditions, même basiques, au bon fonctionnement de la démocratie directe – telles que l'(in)formation, n’est pas donnée une fois pour toutes. L’on doit continuellement s’assurer qu’elles sont remplies. Les compétences d’exécution cantonales n’empêchent pas la discussion et la recherche de solutions au niveau fédéral.

L’on se rend compte également que l’introduction d’autres mesures, plus avancées et progressistes – comme, par exemple, faire participer politiquement les 25% de la population qui actuellement n’on pas voix au chapitre politique – va prendre du temps (en tout cas au niveau fédéral).

Une compétence avant tout cantonale

Ceci montre l’importance des développements cantonaux et communaux au niveau de l’extension des droits politiques aux étrangers. Neuchâtel reste précurseur dans ce domaine et pourrait devenir le premier canton à octroyer l’éligibilité cantonale aux étrangers établis (permis C).

La formation à la citoyenneté en général et la formation de l’opinion par rapport à des votations/élections spécifiques, sont du ressort de la société civile et des forces politiques. C’est la solution préconisée par le Tribunal fédéral également. Les juges doivent pouvoir intervenir pour sanctionner d’éventuels abus (informations lacunaires, inexactes, diffamatoires…, propagande étatique, utilisation disproportionnée de moyens, etc.).

Une question demeure cependant. Quelle est le minimum indispensable en matière de (in)formation à la citoyenneté que doit fournir l’état, notamment fédéral? C’est la question de fond posée par les interventions parlementaires et c’est ce que le rapport d’experts aidera- on l’espère- à clarifier.

Après un tel rapport et une telle clarification, le Gouvernement promet de considérer s’il est nécessaire d’adapter la législation fédérale ou cantonale.

Discussion fédérale possible

Tout espoir de voir la Confédération faire plus pour promouvoir la participation politique des 25% d’étrangers n’est pas à écarter non plus.

Il y a d’un coté l’exemple des Suisses de l’étranger. C’est la Confédération qui a imposé les droits politiques fédéraux des Suisses de l’étranger, et ceci indépendamment des droits qu’ils pouvaient avoir, ou pas, à l’échelle cantonale et communale. Ainsi, dans certains cantons, par exemple de Suisse alémanique, les Suisses de l’étranger jouissent uniquement de droits politiques fédéraux.

De l’autre coté, le Gouvernement fédéral reconnait dans ses réponses aux différentes interventions parlementaires sur la formation à la citoyenneté que la démocratie directe repose sur la participation éclairée (informée) du plus grand nombre.

Une telle conception est-t-elle toujours compatible avec le fait d’exclure un quart de la population du « plus grand nombre »?

 

[1] Reformbausteine Schweizer Politsystem, disponible sur http://www.gfsbern.ch/de-ch/Detail/reformbausteine-schweizer-politsystem-1

[2] Etude de planification de l’intérêt politique et de la participation des jeunes, disponible sur <https://www.easyvote.ch/fr/information/etudes/etudes-deasyvote/>

[3] Voir la réponse du Conseil fédéral au Postulat Masshardt « L’éducation à la citoyenneté est une prestation d’intérêt public« 

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