Échos de la première table ronde de la journée « Regards en 3D » du 5 mars 2016
Le 5 mars dernier l’Université Populaire Albanaise de Genève organisait une journée de réflexion intitulée « Regards en 3D: Différence, Diversité… Discrimination ». Après une introduction par le Conseiller National et Président de l’UPA,
Manuel Tornare, la journée se déroula autour de trois axes de réflexion, sous forme de trois tables rondes, modérées par la directrice de l’UPA, Albana Krasniqi Malaj.
La première table ronde était consacrée au thème « Citoyenneté et Droits Politiques » des étrangers. Les deux autres ont débattu d’appartenances religieuses et vivre ensemble ainsi que de difficultés et discrimination dans le domaine de l’employabilité.
Les participants à la table ronde sur la citoyenneté – Inge Hoffmann, élue verte, active dans le monde associatif, Alexandre Mégroz, délégué aux Contrats de Quartier de la Ville de Vernier, Nicole Pomezny, co-auteure d’une enquête et étude d’Avenir Suisse pour la participation politique des étrangers au niveau local et Ardita Driza Maurer, responsable du projet de citoyenneté de l’UPA – ont apporté des regards croisés sur la thématique.
Plusieurs pistes de réflexion ont été évoquées, notamment sur les liens entre la citoyenneté d’un coté et la nationalité, le territoire, les droits politiques, les besoins spécifiques communaux ou l’information de l’autre.
CITOYENNETÉ & NATIONALITÉ
Un lien solide?
Comme le rappelle l’article 136 de la Constitution fédérale, la jouissance et l’exercice des droits politiques fédéraux sont réservés aux Suisses. Mais, la Constitution fédérale introduit des conditions minimales seulement. Les cantons sont libres de faire plus, de faire mieux.
Le droit de vote des étrangers est d’actualité au plan cantonal et communal, surtout en Suisse romande. Après une certaine durée de résidence, Neuchâtel et Jura confèrent aux étrangers des droits politiques cantonaux et communaux. Vaud, Fribourg et Genève leur octroient des droits politiques communaux. A Bâle-Ville, Appenzell Rhodes-Extérieures et Grisons ce sont les communes qui décident d’octroyer de tels droits. Cependant, dans la plupart des cantons, plus particulièrement en Suisse Alémanique, le lien exclusif nationalité – droits politiques/citoyenneté persiste.
La comparaison avec le droit de vote des Suisses de l’étranger témoigne du caractère subjectif de la nationalité comme critère d’encrage de la citoyenneté. Un Suisse de l’étranger peut hériter de la nationalité suisse – basée sur le droit du sang – même si il/elle n’a jamais vécu en Suisse.
Le Suisse de l’étranger peut dès lors bénéficier de droits politiques fédéraux. Dans certains cantons, il bénéficiera également de droits politiques cantonaux. Dans deux cantons (Neuchâtel et Bâle-Campagne), le Suisse de l’étranger, même s’il n’a jamais mis les pieds en Suisse, pourra s’exprimer lors de scrutins communaux.
En même temps, ces droits ne sont pas reconnus, dans la plupart des cantons, aux étrangers qui y sont domiciliés, même depuis de longues années et qui y paient les impôts. Ceci montre clairement que le fait de lier la citoyenneté à la nationalité plutôt qu’à des critères objectifs de domicile ou de contribution financière (impôts) est une décision subjective.
Ce choix relève peut-être (partiellement) de l’identification forte des Suisses au système de démocratie directe. Ne dit-on pas que la démocratie directe fait partie de l’ADN, donc de l’identité Suisse?
Cependant la société évolue. La globalisation influence tous les aspects de notre vie et s’accompagne d’une mobilité croissante de la population. Il serait temps de revoir les pratiques de la démocratie directe à la lumière des réalités sociales. En Suisse, un quart de la population, n’a aucun droit de décision à aucun niveau politique (à l’exception des huit cantons mentionnés ci-dessus). Ceci semble difficilement compatible avec une conception moderne de la démocratie et de la gouvernance, en particulier locale.
CITOYENNETÉ & TERRITOIRE
De nouveaux critères objectifs
Autre contradiction, le poids politique des étrangers dans la vie locale n’est pas en relation avec leur poids économique. Les étrangers peuvent diriger des PME et prendre des décisions importantes qui touchent leurs employés; ils n’ont cependant pas, dans la plupart des cantons et des communes, aucun mot à dire lorsque par exemple on vote sur des crédits pour l’école, les routes, etc.
En Europe, la citoyenneté communale est de plus en plus considérée comme le fait des personnes domiciliées dans la commune. Le Conseil de l’Europe recommande d’octroyer des droits de vote à l’échelle locale aux étrangers qui y vivent depuis un certain nombre d’années.
La participation des étrangers présente plusieurs avantages pour les communes. C’est en étudiant le système de milice suisse – qui se réfère au travail bénévole des membres du législatif et de l’exécutif communal – et les défis auxquels il est confronté, qu’Avenir Suisse a été amené à réfléchir sur la participation politique locale des citoyens étrangers.
Actuellement le système de milice s’essouffle et les communes peinent à pourvoir tous les postes politiques. Or, l’esprit du système de milice, est l’un des fondements de la cohésion sociale du pays. Les 25% d’étrangers que compte la Suisse représentent un potentiel quasi inexploité qui pourrait raviver le système.
Pour Avenir Suisse une grande réforme du système de milice passe par l’introduction d’un service citoyen obligatoire. Cette nouvelle obligation de servir dans le domaine militaire ou civil s’imposerait aussi aux étrangers établis.
L’enquête d’Avenir Suisse auprès des communes de six cantons qui connaissent déjà l’éligibilité communale des étrangers montre qu’actuellement le phénomène est plutôt romand. L’enquête montre qu’il y a plus d’étrangers élus dans les petites communes que dans les grandes. Plus d’étrangers sont élus au législatif qu’à l’exécutif. Les communes ayant (eu) des étrangers élus sont unanimement satisfaites. Aucune ne souhaite revenir en arrière en matière de droit d’éligibilité accordé aux étrangers.
CITOYENNETÉ & DROITS POLITIQUES
Voter c’est participer. Participer c’est plus que voter
La participation par le biais de droits politiques n’est cependant pas la seule manière de participer pour les étrangers. Compte tenu des besoins réels des communes, p.ex. en matière de renforcement du lien social, des réflexions sont en cours pour élargir les formes de participation et donc le contenu de la citoyenneté.
Il est vrai que la Constitution fédérale se réfère à la citoyenneté au sens des droits politiques. Cependant le terme n’est pas univoque. La Commission fédérale pour les migrations (CFM) décrit la citoyenneté comme la participation politique d’un individu à la société et à son organisation. La population peut participer à la politique et l’orienter de plusieurs manières. Selon la CFM les aspects suivants relèvent de la participation: information, concertation, co-construction, co-décision.
L’information a pour but de faciliter l’accès à la participation politique (expliciter les possibilités, rendre visibles et accessibles les espaces). La concertation et la co-construction font référence à l’implication du public dans la prise de décision, à différents degrés, allant de la prise de position à l’élaboration de mesures dont il sera finalement lui-même le destinataire. La codécision se réfère au processus décisionnel et au choix démocratique.
Si l’information et la codécision font déjà partie intégrante des droits politiques (le souverain décide des questions soumises en votation), les étapes de concertation et de co-construction y sont moins présentes (elles sont limitées aux cercles qui lancent un processus politique d’initiative ou de référendum).
CONTRAT DE QUARTIER
Chacun peut contribuer
Pour favoriser une participation du plus grand nombre allant au-delà des droits politiques, Vernier a imaginé et crée, voici plus de 10 ans, les premiers contrats de quartier. Les citoyens domiciliés dans le quartier sont au centre d’une démarche de co-construction, de co-décision et de co-réalisation de projets d’intérêt commun visant à renforcer le lien social. Tous les citoyens sont concernés. La durée du séjour et la couleur du passeport n’y jouent aucun rôle.
Dans une commune où le pourcentage d’étrangers avoisiné les 50%, l’administration ne peut pas se passer de la moitié de sa population. A Vernier, elle se veut proactive et considère que c’est son devoir d’aller vers ceux qui n’ont pas l’habitude de participer.
Le contrat de quartier s’appuie sur la participation des habitants et les échanges entre pairs à tous les niveaux. A la base il y a un travail d’éducation populaire: ceux qui savent transmettent à ceux qui ne savent pas. Pas besoin dès lors de disposer de droits politiques ou de connaitre les rouages du monde associatif pour y participer.
Son but premier est de faciliter la participation des « petites voix ». Ainsi, des personnes qui ne « savaient pas » ou qui ne « participaient pas » ont pu mener des projets. Le contrat de quartier ranime la vie associative locale et favorise les échanges entre citoyens ainsi qu’entre administration et citoyens.
D’autres exemples de villes qui pratiquent une citoyenneté locale existent (ici un exemple de New York) et peuvent nous inspirer. La Ville de Genève par exemple déclare traiter les habitant-e-s du territoire municipal de manière égale, sans distinction liée à la durée de résidence ou à la nationalité, entre autres.
CITOYENNETÉ & INFORMATION
La Suisse, comment ça marche?
Rendre l’information accessible, c’est le point de départ qui permettra à chacun de trouver sa place de citoyen. L’information sur les possibilités de participation tout d’abord, l’information sur les modalités d’exercice de ces mêmes droits et possibilités ensuite et, finalement, l’information sur les questions et les enjeux en discussion.
Alors que les Suisses votent souvent sur des questions en lien avec les étrangers, comme se fût le cas en février (initiative de mise en œuvre) et comme il se sera de nouveau en juin 2016 (révision de la loi sur l’asile), ces derniers ne se sentent pas concernés, et ceci non seulement au niveau du vote (fédéral en l’occurrence) – auquel ils ne peuvent pas participer, mais également au niveau du débat de fond – auquel il serait intéressant qu’ils contribuent.
A la différence d’autres réflexions visant à développer les droits politiques et les possibilités de participation des étrangers au niveau communal voire cantonal, le projet de citoyenneté de l’UPA se focalise, lui, sur le fait de rendre les informations accessibles aux étrangers, notamment à ceux disposant d’un niveau de formation peu élevé qui traditionnellement participent le moins.
La promotion de la connaissance concerne également les électeurs d’aujourd’hui, Suisses pour la plupart. Il est à espérer que, comme pour le vote des femmes, ces derniers dépassent les réticences d’aujourd’hui. Les communes devraient avoir la possibilité de décider du développement des droits politiques des étrangers établis, en fonction de leurs propres besoins et expériences du terrain. D’ici quelques années il nous semblera peut-être surréaliste de ne pas reconnaitre aux étrangers établis depuis un certain temps des droits de participation à l’échelle locale.